« Cet après-midi là, j’avais reçu un couple dont la petite fille de neuf ans était morte dans un attentat. Il n’existe pas de mot dans la langue française pour désigner celui qui a perdu son enfant, alors qu’il y en a un — “orphelin” — pour celui qui a perdu son père ou sa mère, comme s’il s’agissait d’une situation impossible à définir, à qualifier : un vide moral et juridique. Quand je recevais ces parents ravagés par le chagrin, je devais paraître à la fois présente et solide, faire preuve de tact et de pédagogie, être à l’écoute mais aussi savoir qu’ils pouvaient, en retour, chercher à me déstabiliser. »
Étiquette : Karine Tuil
Les Choses Humaines
« Comment basculait-on? Ce qui s’exprimait dans les salles d’un tribunal, c’était le récit d’existences saccagées, c’était la violence, les blessures d’humiliation, la honte d’être à la mauvaise place, d’avoir cédé aux déterminismes, au désir, à l’orgueil; d’avoir commis une faute, une erreur de jugement; d’avoir été léger, cupide, manipulé,manipulable, impuissant, inconstant, injuste, d’avoir trop aimé le sexe, l’argent, les femmes, l’alcool, les drogues; d’avoir souffert ou fait souffrir; d’avoir fait confiance, par aveuglement/amour/faiblesse; la honte d’avoir été violent, égoïste,d’avoir volé/violé/tué/trahi; de s’être trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment, de payer pour son enfance, les erreurs de ses parents, les abus des hommes, leur propre folie, la honte de dévoiler sa vie, son intimité, livrée sans condition à des inconnus; de raconter la peur qui les intoxiquait, comme une seconde peau urticante, une perfusion venimeuse; la honte d’avoir gâché chacune de ses chances avec application. »
